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Les fourmis

lundi 2 mai 2022, par Frédéric Urbain

Un petit conte...


L’autre jour on a découvert par hasard que la Tour Eiffel n’était pas toujours aussi droite qu’elle en avait l’air. Elle penche au contraire assez souvent, à droite comme à gauche, vers l’avant comme vers l’arrière. Attention ! Je vous vois déjà hausser les épaules.

Bien entendu, la Tour Eiffel ne danse pas le mambo. D’après ce que je sais, ce n’est certainement pas l’envie qui lui en manque, mais elle représente Paris et n’a pas le droit de se laisser aller à de telles fantaisies ; cependant, on a pu constater, avec des instruments très précis et grâce à de très minutieux observateurs, que le sommet de la Tour Eiffel se décalait parfois de plusieurs centimètres dans un sens ou dans l’autre.

Les plus grands savants de la planète ont été interrogés pour expliquer ce mystère. Leurs réponses peuvent se regrouper dans trois catégories.

Les uns nous font remarquer que la Tour n’est éclairée que d’un côté à la fois par le Soleil, le métal dont elle est faite réagit donc à la très petite différence de température en devenant un peu — un tout petit peu — plus mou d’un côté. Le métal c’est comme les gens, ça se ramollit dès qu’il fait chaud. Bref, c’est normal et ça n’est pas grave du tout. Les autres nous rappellent que la Tour Eiffel, même si elle est pleine de trous, monte très haut dans le ciel et occupe beaucoup de place. Tout là haut, le vent vient la frapper, l’attraper, la secouer et cela doit bien la faire pencher un peu — oh ! un tout petit peu. C’est normal et ça n’est pas très inquiétant, mais il vaudrait mieux rester à distance les jours de tempête.

Les troisièmes ne sont pas très polis et insistent sur l’âge de notre bonne Tour Eiffel, ainsi que sur son poids. Ces cuistres-là prétendent que la vieille dame de fer, à force d’appuyer sa carcasse sur ses millions de rivets, a dû les user quelque peu — oh ! un tout petit, tout petit peu. Cela suffit toutefois à donner un peu — un tout petit peu — de jeu à l’ensemble et à faire ballotter la Tour de ci de là. C’est peut-être normal, mais c’est préoccupant et on doit surveiller cela de plus près.

J’ai le sentiment quant à moi qu’ils se sont un peu — un tout petit peu — fourré le doigt dans l’œil. Je vais vous le dire, moi, pourquoi la Tour Eiffel se balance toujours un peu — oh ! un tout petit peu. Si vous restiez debout aussi longtemps qu’elle, vous éprouveriez aussi un furieux besoin de bouger, vous ne croyez pas ? Et encore plus si vous aviez quatre pieds.

Certains des visiteurs, très nombreux, qui viennent sur la Tour viennent voir Paris d’en haut, prennent l’ascenseur, font un cliché et s’empresse d’aller dire “je suis monté sur la Tour Eiffel” ; heureusement, quelques visiteurs se déplacent pour la Tour elle-même. Ceux-là sont différents, ils montent doucement, par l’escalier, en regardant partout, ils essaient de tout voir et de tout garder dans leur tête pour pouvoir raconter à leurs amis, d’autres poètes restés au pays, les merveilles de la Tour. Toutes ces petites personnes qui montent par l’escalier en s’arrêtant à chaque palier, sont pour la vieille Tour comme des petits insectes qui la chatouillent un peu — un tout petit peu, mais les chatouilles c’est encore plus terrible quand c’est tout léger, tout léger.

La voilà, l’explication : la Tour Eiffel se dandine parce qu’elle a des fourmis dans les jambes !

Alors, de temps à autre, tout doucement, très doucement pour ne pas faire peur, par un mouvement brusque, à ces voyageurs qui viennent juste pour elle, elle repose un peu — un tout petit peu — son grand corps sur l’un de ses pieds. Et puis quand ce pied-là s’engourdit, alors tout doucement, tout doucement, elle change de pied. Si vous n’êtes pas encore allés rendre visite à la Tour Eiffel, il ne faut surtout pas renoncer à cette idée par peur de lui faire des chatouilles. Elle est tellement aimée, à travers le monde entier, qu’elle ne peut être que parfaitement heureuse. Elle adore recevoir ses visiteurs. C’est toujours avec joie qu’elle les accueille et, si vous tendez l’oreille en montant, vous l’entendrez peut-être, elle le fait parfois, se chanter une chanson douce pour garder le rythme de son changement de jambe. Parfois aussi elle soupire, parce qu’elle regrette un peu — un tout petit peu — de ne pas pouvoir danser le mambo.

La Tour Eiffel, en noir et blanc, vue d'en bas, occupe une grosse moitié droite de l'image, dans la partie gauche on voit les branches d'un arbre.
La Tour Eiffel
CC-0 Frédéric Urbain

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